Mythes et Rites
Selon Pierre GORDON
(1886-1951)
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On sait peu de choses sur Pierre Gordon (1). Qui fut-il réellement ?
Il était détenteur, entre autres, d'une agrégation de philosophie, d'un Master of Arts de l'université de Cambridge.
Pourquoi ce mystère ? Il fut probablement un personnage français de haut rang, occupant un poste important dans l'Administration ce qui l'obligeait à un devoir de réserve ou de prudence… Car sa pensée était peu conforme à l'idéologie universitaire concernant l'histoire humaine, les mythes fondateurs et les rituels religieux depuis la Chute jusqu'au Christianisme, ses domaines de recherche.
Cette passion pour cette facette de l'anthropologie lui vient de Sir James Georges FRAZER (1874-1941), anthropologue universitaire, dont il suivit les cours lorsqu'il était étudiant en Grande Bretagne.
Celui-ci fut le premier à dresser un inventaire de tous les mythes et rites existants sur terre. Son œuvre principale, le Rameau d'Or (12 volumes !) relate et décrypte les milliers de traditions et faits religieux qui lui ont été relatés ou qu'il lut.
Frazer a le mérite – justement considéré – d'avoir fondé l'anthropologie religieuse et la mythologie comparée.
Le professeur communiqua son goût pour la recherche à ses étudiants.
Aussi, de retour en France, Gordon entreprit-il ses propres recherches, muni des outils transmis, sur les sujets qui l'interrogeaient avec passion.
On peut supposer que les routes de Pierre Gordon et de René Guénon se croisèrent un jour. Ne dit-on pas que Pierre Gordon, féru d'ésotérisme, est un René Guénon français ?
Il est vrai que sa thématique que l'on retrouve dans tous ses livres (2) pourrait se résumer ainsi : "Le folklore n'est nulle part une création des peuples. Il est partout de source théocratique et initiatique".
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1) Pierre Gordon écrivit aussi sous le pseudonyme de Florian Cordon ; la Bibliothèque Nationale de France est la seule instance à le mentionner.
2) De nombreuses publications ont été perdues. Actuellement, grâce à un engouement pour sa pensée, quelques livres sont réédités : "Les Fêtes à travers les âges" et d'autres…
Origines des mythes, des rites et des contes.
Ils ont fondamentalement beaucoup de points communs et ce, sur tous les continents, ce qui ramène à une Tradition unique, thème directeur dans la pensée de Gordon et à un sous-thème : l'exégèse de l'homme qui fut d'abord un surhomme.
C'est, pour Gordon, une évidence qu'infirment tous les éléments ethnologiques dont il dispose : "nous ne sommes pas des êtres venus d'en bas qui s'efforceraient de gagner un palier plus élevé. L'évolution de l'homme n'est qu'une longue dégradation dans la Connaissance qui était propre au Surhomme, mais, précise-t-il, en Connaissance empirique" (in Le Sacerdoce à tous les âges).
• Le mythe explique ainsi le surhomme : c'est l'homme tel qu'il était à l'origine lorsqu'il vivait dans l'Eden relié au "monde dynamique" (situé au-delà du monde physique), par le Mana, terme encore utilisé chez les actuels "peuples anciens" pour désigner un pouvoir spirituel ou une force magique habitant dans les êtres et les choses.
Gordon parle aussi d'énergie radiante qui illuminait l'homme et faisait de lui un dieu.
Un mythe informe aussi d'un type de société ancien dont il faut se remémorer pour retrouver nos prérogatives perdues : c'est le temps primordial, de l'Age d'Or, dont on a la nostalgie au fond de soi et que l'on cherche à retrouver malgré notre déchéance : cadeau de départ du Paradis !
• Le conte traverse les siècles – que dire ! les millénaires ! – grâce à la mémoire des hommes. Il comprend des éléments fictifs, selon la culture, l'époque du narrateur. Les contes portent dans leur essence les mémoires des temps anciens et sont, pour la plupart, la description minutieuse d'un rite, où interviennent les dieux.
• Les dieux étaient, à une époque déjà avancée, pour la plupart issus d'une caste régnante ; quelquefois un dieu représentait plusieurs types de héros ou de civilisateurs chargés d'enseigner et de perpétuer les rites. C'est là qu'intervient la richesse de la pensée de Gordon qui donne des interprétations étonnantes, un peu bousculantes, mais qui tiennent à l'analyse : ainsi Orcus, dieu des enfers chez les Romains – qui devint l'Ogre de nos contes – serait un "digesteur divinisant" du Néolithique (et même plus lointain !) c'est-à-dire un prêtre chargé d'initier dans une grotte sacrée en "assimilant" (entre autres !) les initiables et de les libérer en les faisant sortir de la grotte, une fois la surhumanité atteinte. Ensuite, les surhommes montaient en haut de la montagne sacrée, approchant ainsi la Divinité puis redescendaient vers l'Ile sainte des premiers temps.
On retrouve ce parcours dans nombre de traditions anciennes, ce qui prouve une origine commune qui peu à peu subit des déviances jusqu'à devenir maléfique.
Plus tard le Prêtre assume le rôle de la grotte et devint digesteur… sans la grotte, le sens de l'usage se perdant !
On retrouvera aussi ce mythe dans l'histoire de Kronos qui mangea ses enfants, dans le Petit Chaperon Rouge…..
• Autre exemple de déviance : les dragons. A l'origine des hommes vêtus rituellement comme des serpents, étaient chargés des rites d'initiations dans la société Néolithique, voire du Paléolithique. Ils sont devenus de nos jours des objets d'attractions et de fêtes…. Mais le symbole est toujours là, prêt à se laisser émerger.
Le Paléolithique.
A force de scruter les textes, Gordon (in l'Evolution sexuelle et l'évolution religieuse) en est venu à approcher l'époque du Néolithique et au-delà, le Paléolithique d'où tout s'origine, ceci de manière intuitive d'abord puis, avec la raison qui confirmait les données par déduction.
"L'époque du Paléolithique, écrit-il, eut une puissance théocratique qui fit longtemps régner l'ordre et la cohésion. Les premiers contacts avec la civilisation du Sud amenèrent une décadence. Après une période sombre – celle qui se termina par ce que la Bible appelle "le Déluge" – la théocratie pastorale se réorganisa. Elle installa son siège dans la région caucaso-arménienne ("la Grande Montagne" des Chaldéens – qui est le mont Ararat de la Bible – le Mont Mérou des Hindous, l'Olympe des Grecs etc… dans d'autres sociétés).
"La Grande Montagne" fut, selon Gordon, une véritable Eglise qui se caractérise par :
• Des "civilisateurs", véritables apôtres, qui sacralisaient chez tous les peuples des monts, grottes, pierres, arbres, eaux, sacralisant de ce fait la nature pour sacraliser par elle les hommes…
• Son rituel initiatique proche de nos jours du chamanisme nous révèle un peu de ses caractéristiques.
• Sa philosophie : "tirer l'homme des marécages de l'animalité pour le remettre en contact avec l'énergie divine" et le faire renouer avec la Tradition Primordiale.
• Il fallait aussi rappeler que le premier homme-ancêtre avait vécu au contact de l'Etre (divin), qu'il avait possédé jadis de prodigieux pouvoirs qu'il lui était possible de "reconquérir" en retrouvant son état primitif, grâce à des rites et des disciplines qui constituaient l'initiation sous la conduite des "civilisateurs".
Nombre de ceux-ci sont devenus, par déviance, les dieux des panthéons de religions.
• Ce qui devait demeurer immémorial fut transformé en "liturgies initiatiques" avec des figurations et des scénarios sacrés.
De là la clef des mythes qui doivent être considérés comme des transpositions des représentations liturgiques premières qui se sont, par transmission, répétées plus ou moins fidèlement au cours des millénaires.
Cette clef de lecture, Gordon l'a aussi utilisée pour les textes bibliques, quoique postérieurs dans le temps.
Ces textes, selon lui, seraient la transcription de drames liturgiques et de mises en scène sacrées.
Ainsi, l'Ecriture Sainte contiendrait-elle, en partie, des processus initiatiques (à décoder) avec des personnages officiant comme aux premiers temps, sous les déguisements ritueliques (dont parle Gordon dans plusieurs livres avec détails) tels qu'au Néolithique.
On pense ici aux géants de la Bible qui étaient des hommes de taille normale mais qui portaient des fausses têtes gigantesques (voire Méduse) et des peaux de bête.
Ces géants sont attestés dans toutes les civilisations et n'ont rien à voir avec des extra-terrestres ou de la science fiction !
Tous les maux de notre humanité déchue dégénérant mentalement et spirituellement de plus en plus vite en cet âge de fer, sont dus à la Chute originelle, dont Gordon qui revendique son catholicisme, a une conception qui est loin d'être erronée.
La Chute originelle consiste en le refus - de la part de notre espèce - à s'intégrer dans l'Etre (divin)(1) par le don total de soi-même pour choisir de se développer dans un monde appréhendé comme physique.
Dès la Chute, l'homme perçut le monde par sensations et non par intuition et perdit dès lors son potentiel mental.
Mais l'homme, explique Gordon, cherchera toujours à retrouver "le Royaume de Dieu", "le Trésor perdu", etc… C'est ce que signifient les lieux mythiques tels l'Agartha, la Terre Pure… et la recherche de la Pierre Philosophale.
CONCLUSION
Chercheur inspiré, dans la lignée des grands chercheurs et découvreurs dans le domaine de l'anthropologie, Pierre Gordon a livré des outils intéressants pour nous permettre de décoder les mythes originels fondateurs, au moyen desquels nous pouvons comprendre des passages obscurs tels que l'épisode de Noé, souvent décrypté de façon grotesque faute de clefs.
Il nous est aisé, dès lors, une fois avertis, de replacer de grands épisodes bibliques dans le contexte des liturgies initiatiques où se déroulaient autrefois les mystères de la Création, de la Chute, du Déluge, restituant au Christianisme ainsi tout son sens et sa mission de sanctification.
Pour Gordon, toute l'histoire depuis la Chute est mue par un dessein prévu par Dieu et qui aboutit à la libération de l'humanité par le surhomme par excellence qui est le Christ et au rétablissement de l'homme dans sa figure de surhomme que rappelaient régulièrement les rites autrefois.
L'acte de Rédemption a, en effet, été de manières diverses, représenté des milliers de fois par tant de peuples, qu'il n'est plus possible de penser que le sacrifice de Dieu sur la Croix fut un acte inattendu et inintelligible pour les croyants des traditions anciennes.
Ainsi, Gordon, reconnaît-il au Christianisme son rôle de pérennisation de l'histoire de l'humanité et de gardien des clefs du Royaume pour que chacun puisse accéder au royaume perdu et reconquérir son statut de surhomme relié au Divin… Celui-ci, quoiqu'il en soit, a toujours habité le cœur de l'homme et continuera indéfiniment…. Aux rites et aux rituels de nous aider dans notre démarche : véritable quête du Graal.
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1) Voir "La Révélation Primordiale" chez Arma Artis